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Grenades à Fusil allemandes


On attribue généralement l'invention de la grenade à fusil à l'Allemand Geissler qui, en 1667, eut l'idée de lier une grenade à main sur une baguette de bois du calibre du mousquet, pour en améliorer la portée.

Dans cet esprit, en 1913, on conçut une pièce en tôle découpée munie de trois griffes ressorts et d'une tige d'acier afin de recevoir la grenade sphérique à main modèle 1913 ; une ficelle reliant le pontet du fusil au rugueux de la grenade assurait la mise à feu au départ du coup.
Mais la mise en œuvre d'un tel système ne permit pas d'obtenir une cadence de tir suffisante car, à la veille de la guerre, l'état-major allemand assigna à la grenade à fusil un rôle d'artillerie supplétive pour le cas où l'artillerie d'appui direct se trouverait trop éloignée de l'infanterie ou dans l'impossibilité d'établir la liaison. D'autre part, le manque de sécurité d'un tel montage était évident. En effet, il suffisait que dans le feu de l'action le fantassin ne place pas correctement la grenade dans les griffes ressorts pour que celle-ci se décroche et vienne exploser à ses pieds ou au milieu de ses camarades.
Aussi, au cours de cette même année 1913, une nouvelle grenade, uniquement destinée au fusil, entrait en service. Très influencée par la grenade anglaise Marten Haie, comme toutes les grenades à fusil de cette époque, c'était une grenade à baguette.

 

Auteur : Patrice Delhomme

Prévue pour d'autres utilisations tactiques que celles qui s'imposeront au cours du conflit, cette grenade était adoptée bien que le système à baguette, de part sa sensibilité au vent, fut sujet à des écarts en portée allant jusqu'à 20 %. On estimait qu'à l'arrivée au sol l'écart se trouverait automatiquement corrigé par la portée des éclats qui étaient dangereux dans un rayon d'une centaine de mètres.
La grenade à fusil modèle 1913

Constitué par un corps en forme d'obus, en fonte aciérée, quadrillé extérieure-ment, de quatre millimètres d'épaisseur, cet engin mesurait quarante millimètres de diamètre. A l'intérieur, la charge d'ex-plosif composée de 80 % de nitrate d'ammonium, de 15% de tolite et de 5 % de craie était tassée autour d'un tube de laiton qui traversait la grenade de part en part Sa base était fermée par un bouchon de laiton qui renfermait le système de percussion ; cette base se prolongeait par une baguette en acier cuivrée de 450 millimètres de longueur et de 7,5 millimètres de diamètre, terminée par un petit embouti tubulaire en cuivre. Une vis permettait à cette der-nière pièce de tourner librement sur la baguette et un petit bouchon en cuivre de forme tronconique, partiellement in-troduit et maintenu en place par un coup de pointeau, venait fermer sa base.
Au départ du coup, sous la pression des gaz, ce bouchon s'enfonçait comme un coin dans l'embouti et celui-ci en se dé-formant épousait les rayures du fusil. Cette déformation n'avait d'autre but que d'éviter une déperdition de gaz entre la baguette et le canon du fusil afin que l'énergie produite par la cartouche de lancement, chargée de quatre grammes de poudre noire, fut transmise le plus possible à la grenade. Elle n'avait surtout pas, comme cela était réguliè-rement affirmé dans les journaux de l'époque (Sciences et Vie, l'Illustration, etc.), le but d'assurer la rotation du pro-jectile, ce qui aurait accentué la sensi-bilité au vent. Le système de mise à feu était logé dans le tube central. Au sommet, au moment de l'emploi, on remplaçait la vis de transport par un tube qui portait l'amorce et le détonateur. A l'intérieur de la base, un cylindre de poudre noire comprimée immobilisait l'arrière du percuteur constitué par une petite plaque circulaire percée de trois trous. Sous cette plaquette, une mas-selotte amorcée était maintenue éloi¬gnée d'un percuteur par les lames d'un ressort plat.

Au départ du coup, par inertie, la mas-selotte écrasait les lames du ressort, l'amorce était percutée et la flamme se transmettait à travers les trous de la plaquette au cylindre de poudre noire qui, en brûlant, libérait le percuteur. Les gaz de combustion étaient évacués par deux évents bouchés jusqu'alors par une goutte de cire.

On s'aperçut rapidement que le profil trop aérodynamique de l'engin et le sys-tème de percussion qui créait un retard de quelques dixièmes de seconde entre l'impact et la mise à feu faisaient que la grenade, dès que le sol était un peu meuble, s'enfonçait avant d'éclater, ce qui lui ôtait pratiquement toute efficacité.

La portée maximale de l'engin était d'environ 300 mètres sous un angle de 45°; lorsque l'on voulait atteindre un objectif situé à moins de deux cents mètres en conservant cet angle, on vis-sait, en même temps que le tube porte-détonateur, un disque réducteur de portée à la tête de l'engin. Ce disque de huit centimètres résolvait également le problème de l'enfouissement intempestif de la grenade.
Bien que fabriqué massivement au cours de l'année 1913, cette grenade fut remplacée, dès 1914, par un modèle plus sophistiqué ne présentant plus les inconvénients que nous venons d'énumérer.

La grenade à fusil modèle 1914

II s'agissait d'un engin d'aspect plus massif que le modèle précédent, toujours en fonte aciérée quadrillée extérieurement. La charge était constituée par 70 g de tolite tassée dans une enveloppe cylindrique en carton. La fusée, qui voyageait séparée de l'engin, contenait le système de percussion, le détonateur et une charge d'explosif relais. Le système de percussion se composait d'un axe terminé à l'extérieur par une tête hémisphérique ; cet axe était immobilisé par une bille, elle-même maintenue en place par une baguette calée par deux ressorts à lames. Pendant le transport de la fusée, cette bague était verrouillée par une goupille à deux branches. Enfin, à la base de l'axe, le percuteur était maintenu couché contre le cylindre porte-amorce.

Au départ du coup, la bague coulissait par inertie et libérait la bille qui retenait l'axe ; celui-ci, sous l'action d'un fort ressort, se portait vers l'avant, ce qui permettait au percuteur de se redresser grâce à une petite pièce comprimé par un ressort. La grenade était alors prête à éclater instantanément à l'impact.
Le diamètre et la longueur de la baguette de lancement étaient identiques à ceux du modèle 1913. Par contre, la pièce destinée à prendre la rayure a été simplifiée : c'était un simple petit tube de cuivre mince serti, avec possibilité de rotation, sur une gorge circulaire dans la baguette. Le disque de réduction de portée mesurait 85 mm et se vissait à l'arrière du corps de la grenade. Incurvé, suivant qu'il était tourné du côté concave ou du côté convexe vers l'objectif, ou absent, il devait vraisemblablement permettre d'atteindre les distances respectives de 100, 200 et 300 mètres avec un fusil incliné à 45°. Il existait un modèle d'instruction en fonte lisse, peint en rouge ; on pouvait y visser les disques de portée et une clavette permettait de changer rapidement la baguette après chaque tir pour réutiliser l'engin. Comme pour le modèle de guerre, son poids était de 900g.

D'autre part, des corps de grenades modèle 1914, équipés d'une fusée à hélice et d'un empennage en tissu, servirent à fabriquer des bombes d'avion. Au cours du raid du 22 mai 1915 effectué par l'aviation allemande sur la région parisienne, quatre de ces engins tombèrent sur la rue Chausseloup-Laubat et sur le square de Vaugirard et six autres sur le Bourget et Dugny.

En 1915, le règlement allemand stipulait : "Les grenades à fusil étaient un moyen de combat rapproché pour la défense comme pour l'attaque. Les rassemblements de troupe, les détachements de travailleurs dans les têtes de sape, les colonnes d'assaut, le matériel d'assaut préparé en vue d'une attaque constituaient des buts excellents. On re-commandait, quant on prenait une tranchée sous le feu, de tirer avec plusieurs fusils afin d'empêcher que l'adversaire ne se déplace. Pour rendre difficile à celui-ci le repérage et le bombardement des emplacements des fusils, l'infanterie fera avantageusement partir les coups de différents endroits situés à de larges intervalles". D'autre part, des chevalets équipés de systèmes aplMecul et de pointage en hauteur et en direction étaient dirigés en permanence sur des points repérés à l'avance, afin d'expédier des grenades au moindre mouvement. Avec ces lan-ceurs, les disques de réduction de por-tée étaient supprimés. "Le 2 mai 1916, le 28e bataillon de chasseurs, au Linge, subissait pendant une journée un bom-bardement de plus de trois mille obus sans qu'un seul homme fut tué ou blessé. Le soir, à l'heure de la soupe alors que les chasseurs se riaient du bombardement inefficace, une grenade à fusil tombait au milieu d'un groupe de douze. Elle en tua quatre, en blessa huit ; deux de ces derniers moururent en arrivant à l'ambulance". Bien qu'efficaces lorsqu'elles atteignaient leur objectif, comme on vient de le voir, les grenades à baguettes, par leur manque de régularité en portée, n'étaient pas adaptées à la guerre de tranchée et le 7 août 1916, un document officiel allemand précisait que "la grenade à fusil, en raison de son manque de précision (vent, etc.), était plus propre à inquiéter l'ennemi qu'à produire un effet utile. En conséquence, il n'en sera plus fabriqué, les stocks existants seront employés pour les feux de flancs, pour battre les angles morts et pour exécuter des feux nourris sur de larges zones".

Dès lors, les objectifs précédemment traités avec les grenades à fusil le furent avec les projectiles du Granatenwerfer, sorte de petit mortier basé sur le principe du canon français de 58. La dis-persion en portée à peu près équiva-lente était rachetée par une puissance explosive égale à celle de l'obus de 77 et par un prix de revient beaucoup plus bas. Cependant, un tel remplacement n'était pas valable tant que l'armée allemande, après l'échec de Verdun se cantonnait à nouveau dans une stratégie défensive ; mais lorsque Ludendorf, au début de 1918, grâce à la défection russe, bénéficia d'une supériorité numérique qui le poussait à reprendre la guerre de mouvement avant l'arrivée des Américains, la grenade à fusil s'imposait de nouveau. En effet, la multiplicité et la simultanéité des attaques ne permettaient plus de fournir aux troupes d'assaut des moyens d'artillerie comparables à ceux de l'année précédente lorsque les actions étaient limitées. Désormais, l'infanterie doit compter surtout sur ses propres moyens de feu et sur la manœuvre pour faire tomber les résistances. Dans une situation offensive avec 50 kg par pièce et 2 kg par projectile pour une cadence de tir de six coups à la minute, bien que leur apport ne fût pas négligeable, les "Granatenwerfer" ne pouvaient pas rendre les mêmes services que les fusils plus nombreux tirant dix grenades à la minute.
Le nouveau modèle choisi était copié directement sur la grenade française VB et, comme elle, se tirait à l'aide d'un tromblon.
La grenade à tromblon modèle 1918

II s'agissait d'un cylindre de fonte de 60 mm de diamètre chargé de 36 g d'un mélange de tolite et de nitrate d'ammoniaque. Tiré avec la cartouche à balle, cet engin était percé d'un canal central à l'intérieur duquel se trouvait l'amorce qui enflammait le retard pyro-technique de huit secondes. Son poids total était de 440 g et sa portée maximale de 180 mètres.
Les modèles fabriqués fin 1917 étaient quadrillés intérieurement, ceux fabriqués en 1918 étaient lisses intérieurement et extérieurement. Il existait un modèle d'instruction inerte reconnaissable à sa base arrondie.
Avec leurs fusées en laiton comportant une quinzaine de pièces usinées avec précision, les grenades à fusil modèle 1914 étaient le reflet de la puissance de l'industrie allemande de cette époque qui produisait 16% des produits ma-nufacturés dans le monde, contre 7 % pour l'industrie française.

Prévue pour une guerre courte, elles devenaient rapidement des engins trop luxueux au fur et à mesure que l'efficacité des armes devenait fonction d'une consommation de plus en plus considérable de muninitions. Malgré quelques économies réalisées en fabriquant la fusée dans un alliage de zinc et d'aluminium, les coûts de fabrication étaient tels par rapport à l'efficacité constatée que l'engin fut abandonné.
Lorsque l'expérience montra qu'un tel engin était désormais irremplaçable, ce fut finalement une copie du modèle français VB qui fut adopté. Le handicap de ne pas posséder de grenade à fusil avant guerre s'était transformé au cours du conflit en avantage en permettant de créer un projectile faisant appel pour sa fabrication beaucoup plus à la fonderie qu'à l'usinage et, par là, bien adapté à la consommation massive.